Carfax

berceau

Ma chasse royale finie, je partis demeurer chez Beleg sur son invitation. Bien sûr, il me coûtait affectivement de ne pas retourner prestement retrouver ma compagne et ma fille, cependant je ne pouvais décemment décliner son geste d’amitié. Ce que j’y vis apaisa mon esprit tourmenté et m'émerveilla à jamais.
Le village natal de Beleg, Etelaïnis, se situait dans le Berceau, un vaste domaine forestier en forme de cuvette, au cœur même du royaume des Elfes-des-Bois. Du sol, un visiteur ne pouvait deviner sa présence, seuls de grands arbres s’élevaient majestueusement vers le ciel. Pourtant, arrivé au pied de l’un d’eux sans que rien ne le distinguât des autres, Beleg cessa subitement sa marche. Après quelques secondes de patience, une nacelle descendit des airs. Son occupant, chargé du bon fonctionnement de l’élévateur, salua chaleureusement l’albinos et hocha respectueusement la tête lorsque celui-ci me présenta, sans masquer pour autant une certaine curiosité. Je montai dans la nacelle. Au fur et à mesure qu’elle s’éleva, l’Elfe m'indiqua des formes et le village m'apparut peu à peu, perché sur les hautes branches. Lorsque notre ascension stoppa, nous descendîmes pour emprunter une des solides passerelles finement sculptées parmi les innombrables qui reliaient, telles des ramures naturelles, toutes les habitations et autres lieux de vie.
Mon ami me guida alors vers l’une des plus hautes maisons dont l’entrée, soigneusement ouvragée d’arabesques florales, se distinguait aisément des autres. Devant celle-ci, deux Elfes nous attendaient, une femme aux longs cheveux défaits, aussi blancs que ceux de mon ami, et un homme blond. Beleg me présenta ses parents : Elenwë, sa mère, et Gereth son père. Tous deux me saluèrent respectueusement, puis Elenwë, avec un sourire gracieux, m'invita à entrer :
— Notre demeure est la vôtre, puissiez-vous trouver ici paix et force.
Le foyer était entièrement conçu en bois : mobilier et murs, sols et plafonds. Grande et vaste, elle s’étirait sur plusieurs branches d’un arbre gigantesque, de telle sorte qu’elle formait un nid circulaire autour du tronc central. Le hall d’entrée était lumineux du fait de son toit entièrement transparent qui le surplombait. Je n’eus aucune idée de ce que pouvait être cette matière translucide, j’en retins juste un émerveillement béat. Le salon, largement ouvert, possédait une très belle bibliothèque. Et à l’étage, on me prêta une chambre confortable et élégante.
Deux autres Elfes logeaient aussi en cette demeure, Amras et Miriel. Ils s'occupaient de l’entretien et du service. Agréable et spacieux, ce havre était ouvert à qui le voulait. Souvent, des gens du village venaient discuter avec les parents de Beleg ou leur fils, ou moi-même. Ces personnes de passage étaient habituellement reçues sur la magnifique terrasse, dont la vue offrait un panorama extraordinaire sur la canopée. Ici, l’accueil de mes hôtes se colorait toujours de douceur et de chaleur. Bien vite, il m’apparut évident que tous ses visiteurs témoignaient un respect tout particulier envers Dame Elenwë.
A-F
Les jours passèrent, calmes et paisibles. Et même si je restais ici l’unique étranger, et que, manifestement, une telle visite se produisait si peu depuis fort longtemps, de prime abord, tous les villageois se montrèrent discrets, ne sachant simplement quelle attitude tenir à mon encontre. Puis, les jours passant, quelques-uns, tiraillés par une aimable curiosité, firent l’effort d’échanger quelques premières amabilités en langue commune. Je répondais poliment à chacune de ces attentions en Sindarin Dès lors qu’ils surent ma maîtrise de leur langue, ils devisèrent plus plaisamment et sans retenue. D’ailleurs, je réalisais souriant que, dès mon arrivée, Dame Elenwë n’avait usé que du Sindarin pour converser avec moi et j’estimais avec certitude qu’elle connaissait mes origines.
Je pris le temps d’un peu mieux découvrir le Berceau, en tout cas le proche environnement du village. La nature y était resplendissante et accueillante. Le dernier jour de mon séjour au Berceau, Dame Elenwë organisa une grande fête réunissant tout le village sous les hauts branchages. Dans une ambiance chaleureuse, chacun profita de vins et de mets d’exception. Là, sous les lumières tamisées des lampes elfiques superbement ouvragées, les convives chantèrent et dansèrent. À la veillée, la mère de mon ami monta sur une petite estrade et se mit à narrer un conte des temps révolus. Les mélopées lyriques de Gereth l’accompagnaient. Tout le monde se tut, charmé par la conteuse. J'acquis en cet instant la certitude que son histoire s’adressait à ma propre personne. L’aurore venant, chacun se dispersa : certains rentrèrent chez eux, d'autres flânèrent et quelques-uns prolongèrent la soirée sur la belle terrasse jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un bruit, plus un son, si ce ne fut le chant des oiseaux nocturnes couvrant le doux bruissement des feuillages. Cette nuit-là, lorsque je regagnai ma chambre, je me plongeai aussitôt dans un profond sommeil sans rêve. Le lendemain, reposé et inspiré, je quittais le Berceau vers Bourg-les-Bois et les miens.